Laurent Habib, président de l’AACC, par ailleurs président fondateur de l’agence Babel, estime qu'une évolution culturelle globale est indispensable : plus qu'une nouvelle mesure particulière en faveur du secteur, c'est un changement profond et structurel en faveur des actifs immatériels (marques, brevets, expertises, culture d'entreprise...) qui permettront de relancer à la fois l'économie des médias et de la communication et celle du pays.
Depuis la crise du Covid-19, l’AACC et ses partenaires du monde de la communication et des médias ont envisagé beaucoup de mesures pour soutenir les médias et la publicité. Nous avons abouti à une proposition qui a été refusée par les pouvoirs publics : il s’agissait du CICOM - le Crédit investissement communication -, un mécanisme d’allégement fiscal lié à l’investissement dans la communication.
Était-il vraiment possible d’imaginer que les pouvoirs publics nous suivent sur cette mesure ? Je vois trois difficultés au dispositif que nous avions proposé. Premièrement, les allégements d’impôts sont toujours mal vus par Bercy, à juste titre d’ailleurs, puisque la succession d’allègements d’impôts finit par créer un labyrinthe règlementaire et des biais notables. Deuxièmement, en voulant favoriser l’investissement dans la communication, on risque de renforcer la prédominance des acteurs de l’économie digitale, sauf à créer des conditions préalables sur l’origine des entreprises de communication bénéficiaires, françaises ou européennes. Là encore, on risque de multiplier des biais.
La troisième raison est la plus importante. Aujourd’hui, il est impossible pour un pouvoir politique de défendre la publicité. La publicité n’est plus perçue, dans l’opinion de notre pays, comme un secteur économique vertueux, si bien que toute mesure visant à défendre la publicité sera vécue comme illégitime. Le seul argument qui reste acceptable est celui de la défense des médias - c’est-à-dire, en réalité, la défense d’une petite partie du rôle de la communication dans notre écosystème, puisque l’investissement média ne représente que 12 milliards sur les 33 milliards d'euros de dépenses globales de notre économie.
Préserver les revenus publicitaires des médias reste, selon moi, le meilleur moyen pour les défendre. Malheureusement, on a condamné cette vision en Europe, en considérant que les médias devaient trouver d’autres sources et formes de revenus : défense des droits d’auteurs, rémunération de l’audience, rémunération des contenus, ou encore recherche de revenus qui s’appuient sur leur connaissance fine de leurs audiences.
"Nous sommes entrés dans l'ère économique de la dématérialisation (...), or nous n’avons pas encore dans notre pays une vraie culture de l’importance des actifs immatériels : brevets, talents, culture d’entreprise et marques"
En réalité, pour comprendre véritablement le rôle de la communication dans l’économie d’aujourd’hui et de demain, il faut prendre le sujet à la racine. Nous sommes entrés, depuis une trentaine d’années, dans une nouvelle ère économique. Le fait qu’on la nomme "ère numérique" ou "ère digitale" a introduit un prisme qui déforme son analyse. Car ce qui caractérise cette économie n’est pas tant la digitalisation, le développement des technologies numériques ou l’usage des algorithmes, que la dématérialisation, autrement dit l’avènement de l’immatériel comme principale source de création de valeur.
Sous l’effet de la mondialisation (et donc, de l’affaiblissement des coûts du travail et de la production), les gisements de création de valeur se sont en effet déplacés du "matériel" - les matières premières, les machines, les produits manufacturés, etc. – à "l’immatériel" – les données, le design, les savoir-faire, etc. Or, nous n’avons pas encore, dans notre pays, une vraie culture de l’importance de ces "actifs immatériels" - brevets, talents, culture d’entreprise, et bien entendu les marques - qui sont en fait au cœur de la résilience de notre économie.
Ce constat peut paraître étrange, mais il est lié à des facteurs culturels, notamment la culture de nos élites - ingénieurs et technocrates. Il est également lié à une histoire qui fait de l’industrie le fer de lance de l’identité économique européenne. Il est enfin lié à la désorganisation des acteurs de l’industrie culturelle et de la communication, qui sont les principaux acteurs et promoteurs de l’économie de l’immatériel.
La caractéristique du secteur de la communication est en effet d’être fortement partialisée : les agences de création ne sont pas les mêmes que les agences d’achat d’espace, qui elles-mêmes se sentent différentes des agences de design, qui elles-mêmes ne se reconnaissent pas dans les agences événementielles. Elles-mêmes ne voient pas leur lien avec les régies médias, qui elles-mêmes se sentent différentes des métiers de la culture ou encore de la production audiovisuelle, qui elles-mêmes ne se reconnaissent pas de lien avec les métiers de la production événementielle, eux-mêmes méconnaissant l’importance des imprimeurs…
Bref, nous sommes des centaines de métiers, des centaines de milliers d’emplois dont la fonction est de préserver et de faire fructifier le capital immatériel des entreprises et qui ne se reconnaissent pas, ensemble, dans une véritable unité. Nous sommes donc faibles dans notre porte-parolat, faibles dans nos revendications, faibles dans la visibilité des points sur lesquels nous pourrions faire la différence. Et nous passons à côté de la défense commune de nos secteurs.
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