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Les normes mondiales dans un monde tripolaire :la bataille silencieuse autour des actifs immatériel


En matière de normalisation mondiale sur l’extra-financier, il existe une bataille qui fait moins de bruit que celle autour les critères environnementaux : c’est celle des actifs immatériels.


Le débat le plus visible aujourd’hui porte sur la possibilité de développer un véritable investissement à impact dans le cadre : 1) des travaux de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), extension de l’IASB (International Accounting Standards Board), jusqu’à présent basé sur une vision principalement financière ; 2) des travaux menés en parallèle, de normalisation extra-financière par l’Union Européenne (EFRAG - Groupe consultatif européen sur l'information financière). Pourtant, au-delà de l’enjeu environnemental et climatique, la question la plus brulante des prochaines décennies pourrait être la reconnaissance et la valorisation des actifs immatériels des organisations.

L’importance du sujet : le rapport « investissement dans l’immatériel pour l’industrie »


La comptabilité ne reflète qu’une toute petite partie de la valeur créée par les entreprises et les organisations. Les actifs incorporels sont mal pris en compte, les règles d’amortissement et de capitalisation sont obsolètes, l’écart de considération entre actif généré organiquement et acquis à l’externe (goodwill) est devenu insoutenable.


Une étude conduite en 2021 par le Ministère français de l’Industrie, l’Observatoire de l’immatériel, et la Direction de l’évaluation des études et de la prospective de Bpifrance, a démontré l’impact des investissements dans le capital immatériel sur la croissance, la rentabilité, la création d’emploi, le potentiel de développement des entreprises industrielles françaises. Pour rappel, l’immatériel est composé de systèmes d’actifs humains, relationnels et organisationnels qui génèrent une singularité irréductible, la résilience et la capacité d’extension d’un acteur économique, la fierté et le sentiment d’appartenance des hommes et femmes qui y contribuent.


Le rapport a été rédigé par Rodolphe Durand, Professeur à HEC-Paris, fondateur et directeur de l’Institut Society and Organizations (S&O), et Romain Boulongne est Professeur Assistant dans le Département de Management Stratégique de l’IESE Business School (Espagne). Il montre en particulier que les effets de l’investissement immatériel sur la croissance du chiffre d’affaires sont positifs et croissants, rapides et durables. Les effets sur la rentabilité des actifs bien que positifs décroissent avant de passer un point d’inflexion et de croître. Le point d’inflexion pour les PME industrielles françaises s’établit autour de 100 000 euros tandis que lorsque l’on inclut toutes les entreprises (PME et ETI), ce point d’inflexion s’établit à plus de 1 million d’euros. Par ailleurs, l’effet de l’investissement immatériel sur la création d’emploi est positif et significatif. Il se traduit en moyenne par une création d’emploi de +6 à 7% par an sur trois ans --c’est-à-dire de 5 à 6 nouveaux pour l’établissement moyen observé par comparaison avec une entreprise la plus similaire possible et qui n’aurait pas investi dans l’immatériel.


La normalisation de l’immatériel, source d’innovation et de débats


Les normes extra-financières sont en marche, avec la véritable mesure et intégration des externalités négatives et positives des activités économiques. C’est une évolution fondamentale du corporate reporting, qui désormais marche sur deux jambes : finance et durabilité.


En particulier, la négociation de la nouvelle Directive européenne sur l’extra-financier (CSRD) a été lancée depuis mars dernier avec la Communauté européenne et le Parlement européen. Un accord devrait survenir avant l’été, avec prise en compte des informations ESG, du principe de double matérialité (impacts croisés entre entreprise et son environnement), ainsi qu’un pilier sur l’immatériel. En effet, la proposition de directive d’avril 2021 désigne les incorporels comme les ressources non physiques qui contribuent à la création de valeur de l'entreprise. Est introduite une nouvelle obligation pour les entreprises de fournir des informations sur leurs incorporels autres que les actifs incorporels comptabilisés au bilan : capital intellectuel, humain et relationnel.


Cependant, ce dernier pilier reste incertain et fragile. Les experts contributeurs hésitent à mettre l’immatériel au cœur de l’extra-financier, alors que cette Directive constitue une occasion historique d’avancer sur le sujet. L’Allemagne s’y oppose ou hésite, alors que la France et l’Italie restent très moteurs. Dans ce contexte, l’EFRAG a lancé un Discussion Paper on “Better Information on Intangibles” pour consultation ouverte des parties prenantes avant août 2022.


De son côté, l'ISSB pourrait clarifier prochainement ses plans en ce qui concerne le Framework du reporting intégré (qui inclut les immatériels), comme cela a été fait pour l’utilisation des normes SASB. L’IASB est en train de considérer s’il doit ajouter (ou pas) un nouveau projet sur les immatériels (IAS 38) suite aux réponses à la troisième consultation sur l’agenda futur de l’IASB.


Dans ce contexte, une coordination active entre EFRAG (task force conduite par Patrick de Cambourg) et ISSB (présidé par Emmanuel Faber) devrait en principe donner la « baseline » internationale. Formons le vœu d’un accord sur une normalisation ambitieuse, qui intègre externalités négatives et positives, comptabilité carbone et mesure des immatériels.


Et pour conclure, gardons à l’esprit que la norme ne sera jamais qu’un cadre et un déclencheur. Au-delà des enjeux de pouvoir, de gouvernance, ou de captation des richesses, c’est une véritable transformation en profondeur de notre économie qui se dessine, plus inclusive, responsable et capable de réussir les transitions à venir.


Jérôme JULIA - Senior Partner chez Kea&Partners - Président de l’Observatoire de l’immatériel.


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Pour aller plus loin : « L’immatériel, révolution silencieuse » (éd. Ilots de Résistance, J. Julia, 2020)

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