La compétitivité d’un pays se mesure non seulement à la croissance de son économie mais aussi à
sa capacité à développer des actifs immatériels. Ces actifs regroupent de façon concentrique
l’ensemble des actifs incorporels, intangibles et donc immatériel que les entreprises développent
et mettent en œuvre. Ils concernent les composantes liées aux marques et à la propriété
intellectuelle à la source des innovations (par exemple la recherche et développement, les brevets,
les designs originaux), les composantes liées aux technologies de l’information (applications,
logiciels, bases de données, algorithmes), et les composantes organisationnelles telles que le niveau
de formation des employés, la culture de l’entreprise, ou ses systèmes de gestion et de reporting.
Depuis trois décennies, il apparaît que les investissements dans les actifs immatériels augmentent
dans les grandes économies mondiales. Plusieurs études pointent une association positive entre
cet investissement et la croissance de ces économies. Cette association traverse les différents
secteurs industriels. Par exemple, les secteurs ayant le plus investi dans les actifs immatériels au
cours des 25 dernières années auraient en moyenne généré une croissance de leur valeur ajoutée
supérieure de 28% aux autres secteurs.
Il existerait des liens entre les actifs immatériels la compétitivité des entreprises et la croissance économique. D’autres effets bénéfiques indirects (sur l’emploi, sur le bien- être des salariés, sur les business models plus durables et écologiques) commencent à être mis en évidence par la recherche.
L’objet de ce rapport est d’investiguer ces relations réelles et supposées dans le cadre de l’industrie
française. A partir de dizaines de milliers d’observations des enquêtes de conjoncture PME de
Bpifrance et de données INSEE (base FARE), qu’est-il possible d’établir sur le niveau d’investissement des entreprises françaises dans les actifs immatériels, sur les conséquences de ces investissements pour la performance des entreprises françaises, qu’elle soit financière ou plus indirecte sur l’emploi par exemple ?
L’examen des données Bpifrance et INSEE montre qu’entre 25 et 30% des PME et ETI industrielles françaises investissent chaque année dans l’immatériel (au sens d’investissement incorporel) et que pour les entreprises dépassant 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce pourcentage concerne un tiers de celles-ci.
Alors que la moyenne de l’investissement immatériel est d’environ 60 000 euros par an, la médiane
s’établit à 20 000 euros environ par an.
D’après les données Bpifrance, les entreprises qui investissent dans l’immatériel sont significativement plus exportatrices, plus confiantes en la croissance à venir, et ont connu par le passé des politiques en recherche développement réussies (par exemple en ayant déposé de la propriété industrielle).
Notons que ces chiffres moyens recouvrent une grande variété de situations sectorielles
particulières. Selon que le secteur est concentré ou que la pression en innovation ou en image
(marque, réputation) est forte, la proportion d’entreprises investissant dans l’immatériel croit, et
le montant moyen d’investissement également. Ainsi 10 secteurs concentrent le plus grand nombre
d’entreprises investissant dans l’immatériel et celles investissant le plus ( en moyenne au- delà de
100 000 euros annuels).
Il ressort de la revue de littérature sur les liens positifs entre investissements immatériels et
performance de l'entreprise que pour qu’une entreprise s’approprie les fruits de l’investissement
immatériel, il faut qu’elle gère de façon stratégique son capital humain et social et sa capacité à
engager ses parties prenantes (sa relation client, ses employés notamment). En général, les acteurs
économiques du marché (tels que les investisseurs) parviennent difficilement à anticiper le lien
positif entre investissement immatériel et innovation ou encore à déterminer qui dans l’entreprise
ou dans son environnement économique (les fournisseurs, les clients, ou d’autres partenaires) sont
susceptibles de capter la valeur économique générée par les actifs immatériels.
Ainsi, pour contrebalancer le coût des investissements immatériels, les parties prenantes doivent s’engager
afin que les bénéfices de cet engagement se matérialisent pour l’entreprise.
En outre, les grandes manœuvres stratégiques (acquisitions, internationalisation des activités) permettent de constater comment les actifs immatériels se répartissent et gravitent à l’intérieur des entreprises entre centre
(de décision et de contrôle) et périphérie (unités de production, filiales). Enfin, il apparaît clairement
que les politiques publiques peuvent attirer ces investissements (notamment en innovation et R&D)
avec l’espoir de faire bénéficier leur territoire des potentiels de croissance et de performance extra-financière associée (par exemple sur l’emploi).
Il ressort de l’analyse économétrique que l’investissement immatériel a un impact positif significatif
sur la croissance du chiffre d’affaires, la rentabilité financière et la rentabilité des actifs même si
pour ces derniers l’effet décroit jusqu’à un point d’inflexion à partir duquel le retour sur investissement
devient croissant.
Cette analyse tend à accréditer l’idée qu’une grande partie des entreprises industrielles françaises n’atteignent pas le montant d’investissement suffisant pour que les effets sur la performance financière soient croissants.
En effet, le point d’inflexion pour les PME s’établirait autour de 100 000 euros (rappelons que la valeur médiane tourne autour de 20 000 euros et la moyenne de 60 000 euros) tandis que lorsque l’on inclut toutes les entreprises (PME et ETI), il s’établirait à plus de 1 million d’euros. Selon les secteurs, entre 2 et 10% des entreprises
seulement franchissent ce point. On note également que l’accès au crédit permet d’accroître la performance financière de ces investissements immatériels pour les PME probablement à cause en amont de l’analyse des projets nécessaire à l’obtention des prêts qui contribue à améliorer la qualité moyenne de l’investissement.
Également, pour les entreprises les plus grandes, il existe un effet vertueux qui fait qu’un stock existant d’immobilisations incorporelles plus grand améliore les retours de l’investissement immatériel. Ainsi, les entreprises les mieux dotées en immobilisations immatérielles retirent une meilleure performance financière de
chaque euro d’investissement immatériel supplémentaire, supposément parce qu’elles ont la capacité (organisationnelle et transactionnelle) d’absorber l’écart du coût que représente l’investissement immatériel par rapport aux gains qu’il procure.
Enfin, il ressort de l’analyse de l’effet de l’investissement immatériel sur la création d’emploi (performance extra- financière) qu’il est positif et significatif. Il se traduit en moyenne par une création d’emploi de +6 à 7% par an sur trois ans -- c’est-à- dire de 5 à 6 nouveaux postes par an en moyenne pour l’établissement moyen observé par comparaison avec une entreprise la plus similaire possible et qui n’aurait pas investi dans l’immatériel. Par ailleurs, les analyses portant sur la décomposition de cet effet positif significatif sur la création d’emploi indiquent que la création d’emploi se compose d’un tiers de femmes et de deux tiers d’hommes en moyenne et que la création d’emploi profite à toutes les catégories et qualifications: ouvriers (+3,1%), professions intermédiaires et employés (+1,5 et +1,4%), et enfin cadres (+1,1%) en moyenne sur les trois ans après l’investissement.
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